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Un enseignant passionné par le numérique
Je m’appelle Vincent Backeljau, et je suis enseignant en 5e et 6e primaire à l’Institut de l’Annonciation, à Schaerbeek. En tant que référent numérique de mon école, j’ai à cœur de partager mon expérience et mes découvertes avec d’autres enseignants.
Mon objectif est de fournir des ressources concrètes et adaptées, permettant à chaque enseignant d’intégrer les technologies dans ses pratiques, tout en valorisant une approche pédagogique équilibrée, ouverte à tous les outils, qu’ils soient libres ou propriétaires.
Je vous invite à vérifier les données présentes dans cet article : celles-ci peuvent évoluer à partir du moment où l’article a été rédigé.

Introduction
Quand j’ai commencé à intégrer l’intelligence artificielle dans ma classe, la question du RGPD (Règlement général sur la protection des données) et de la protection des données des élèves s’est immédiatement imposée. Nous travaillons avec des enfants mineurs, et nos choix technologiques ne peuvent pas se faire à la légère. Comment garantir un usage pédagogique riche tout en respectant la législation belge ? Comment comparer les grandes solutions d’IA en fonction de leur compatibilité avec le RGPD ? Et quelles alternatives locales existent si l’on veut éviter tout transfert de données sensibles ?
Dans cet article, je vous propose un tour d’horizon précis et pragmatique, adapté à notre réalité d’enseignants en Belgique francophone.
Ce que dit le RGPD pour l’école en Belgique
Bases légales en contexte scolaire
- L’école est responsable de traitement et doit choisir des sous-traitants conformes (plateformes, services numériques).
- Deux bases légales sont surtout mobilisées :
- Mission d’intérêt public : pour les traitements nécessaires à l’enseignement.
- Consentement : pour les usages facultatifs (p. ex. diffusion d’images ou activités créatives qui ne sont pas indispensables).
Le droit à l’image des élèves
- En Belgique, toute photo ciblée d’un élève identifiable exige un consentement écrit des parents.
- L’âge de discernement est fixé à 14 ans pour le droit à l’image : en pratique, on demande le double accord (élève + parents).
- Pour les photos de groupe ou d’ambiance, la pratique est plus souple, mais un refus explicite doit toujours être respecté.
- La Fédération Wallonie-Bruxelles recommande de recueillir cet accord dès l’inscription, avec un formulaire clair.
L’AIPD (évaluation d’impact)
Une AIPD n’est nécessaire que si le traitement est à haut risque (profilage décisionnel, données sensibles à grande échelle). Pour une activité ponctuelle avec des photos d’élèves, il suffit généralement de documenter une analyse des risques avec le DPO de l’école (le Délégué à la Protection des Données, chargé de conseiller l’établissement et de veiller au respect du RGPD).
Comparatif des solutions d’IA face au RGPD
Avant d’entrer dans le détail, précisons que ce comparatif se concentre sur les solutions les plus connues et les plus règlementées. Nous incluons également Mistral, acteur européen majeur, afin d’éclairer les choix d’un usage privé d’enseignant et les options souveraines possibles pour les écoles.
Mistral (usage privé / offres pro et déploiements souverains)
- Positionnement : société européenne (France) qui propose un assistant (Le Chat), une plateforme API (La Plateforme) et des modèles à poids ouverts (ex. Mistral 7B, Mixtral 8x7B/8x22B) pouvant être auto‑hébergés.
- Données & entraînement (Le Chat) :
- Free / Pro / Student : les entrées et sorties sont utilisées par défaut pour améliorer les modèles sauf si l’on se désactive (opt‑out disponible dans les préférences).
- Team / Enterprise : pas d’entraînement sur les données par défaut ; paramétrage orienté conformité.
- Connecteurs (Drive, GitHub, Box, etc.) : les données des connecteurs ne servent pas à l’entraînement des modèles.
- La Plateforme (API) : par défaut, Mistral n’utilise pas vos données pour entraîner ses modèles, sauf cas et offres spécifiques mentionnés dans les conditions (notamment formules gratuites) ; vérifier la licence et la politique de rétention liées au plan choisi.
- Localisation & transferts : hébergement majoritairement en UE ; si des traitements ont lieu hors UE, des clauses contractuelles types (SCC) sont prévues. Un DPA est disponible pour les usages professionnels.
- Déploiement local : Mistral offre des modèles open‑weights (souvent sous Apache 2.0) exécutables sur poste ou on‑premise / in‑VPC. Concrètement, je peux les lancer via LM Studio ou Ollama pour éviter tout envoi de données.
- Conclusion (contexte scolaire belge) :
- Pour un usage privé de l’enseignant : Le Chat reste pertinent si l’opt‑out est activé, mais je n’y saisis aucune donnée d’élève.
- Pour un usage avec élèves sans abonnement pro : privilégier un modèle local Mistral (via LM Studio/Ollama) ou un déploiement on‑prem/in‑VPC de l’école ; à défaut, s’orienter vers une offre Team/Enterprise disposant d’un DPA et de garanties contractuelles.
Il existe bien sûr d’autres IA au‑delà de celles détaillées ici ; j’ai choisi de me concentrer sur les solutions les plus connues et les mieux documentées sur le plan réglementaire afin d’offrir un repère fiable aux équipes éducatives.
Google Gemini (via Workspace for Education)
- Accessible aux élèves dès 13 ans, activable par l’administrateur.
- Données protégées : pas d’entraînement sur les données des mineurs, pas de revue humaine.
- Possibilité de choisir des régions de stockage UE.
- Certaines fonctions (ex. génération d’images) sont restreintes pour les -18 ans.
- Conclusion : un des environnements les plus sûrs si l’école utilise déjà Google Workspace Éducation.
Microsoft Copilot (M365 Éducation)
- EU Data Boundary complet : stockage et traitement des données dans l’UE pour les services principaux.
- Copilot Chat fonctionne dans cette limite, mais attention aux services Bing connectés qu’il faut désactiver.
- Conclusion : solide en matière de RGPD, à condition de bien paramétrer.
OpenAI (ChatGPT usage privé)
- Âge minimal : 13 ans (avec accord parental pour les mineurs).
- Version gratuite ou Plus : données potentiellement utilisées pour améliorer le service, sauf désactivation explicite de l’historique des conversations.
- Pas de garantie de data residency UE dans ces formules grand public.
- Conclusion : à utiliser avec beaucoup de prudence en classe, car le contrôle est limité ; préférable de rester sur des usages personnels ou exploratoires de l’enseignant.
Anthropic (Claude for Work/API)
- Les versions grand public peuvent utiliser les données pour l’entraînement (opt-in).
- Les versions entreprise/éducation n’utilisent pas les données pour entraîner le modèle.
- Infrastructures régionales en Europe en cours de déploiement.
- Conclusion : prometteur, mais encore en évolution.
IA locale (on-device)
- LM Studio, Ollama ou GPT4All : installation simple sur un ordinateur, modèles exécutés localement.
- Avantage : aucun transfert de données vers un tiers.
- Inconvénient : nécessite une machine assez performante et les résultats sont souvent moins fluides qu’avec les grandes IA en ligne.
- Conclusion : idéal si l’on veut travailler sur des photos d’élèves sans aucune sortie de données.
Solution | Données utilisées pour l’entraînement | Localisation des données | Âge minimum / accès élèves | Contrat / DPA disponible | Usage recommandé en contexte scolaire belge |
---|---|---|---|---|---|
Mistral (Le Chat / API / modèles open-weights) | Free/Pro : oui (sauf opt-out) ; Team/Enterprise : non ; API : non (sauf offres gratuites) | Majoritairement UE ; SCC si hors UE | 13+ (usage privé) | Oui (offres pro) | Usage privé de l’enseignant (avec opt-out) ; privilégier modèles locaux ou offres Team/Enterprise pour la classe |
Google Gemini (Workspace for Education) | Non (données élèves protégées, pas d’entraînement ni revue humaine) | UE possible (data regions) | 13+ (avec compte éducation) | Oui (via Google Éducation) | Solution la plus sûre si l’école utilise déjà Google Workspace Éducation |
Microsoft Copilot (M365 Éducation) | Non (dans EU Data Boundary) | Données traitées et stockées dans l’UE (EUDB) | 13+ (via compte scolaire) | Oui (contrats Microsoft Éducation) | Très sûr si paramétrage correct ; désactiver Bing Connected Experiences |
OpenAI (ChatGPT gratuit/Plus) | Oui (sauf désactivation historique) | Pas de garantie UE | 13+ (accord parental nécessaire) | Non (versions grand public) | À éviter avec élèves ; utile pour préparation de cours par l’enseignant |
Anthropic (Claude) | Grand public : oui (opt-in) ; Entreprise/éducation/API : non | Infrastructures régionales en cours (Europe) | 13+ (usage privé) | Oui (offres pro) | Attendre maturité des offres éducation ; possible en mode API/Enterprise |
IA locale (LM Studio, Ollama, GPT4All) | Non (tout reste sur l’ordinateur) | 100 % local | Pas de limite d’âge (selon usage pédagogique) | Pas applicable | Idéal pour projets sensibles (photos d’élèves), mais nécessite machine performante |
Ce que nous devons faire en tant qu’enseignants
- Qualifier la base légale : mission d’intérêt public ou consentement (pour les photos, consentement obligatoire).
- Limiter les données : utiliser des avatars ou silhouettes plutôt que des visages si possible.
- Choisir le bon outil : privilégier les environnements éducation (Google, Microsoft) ou IA locale.
- Informer clairement : fournir une note aux parents expliquant la finalité, la durée, le type de diffusion.
- Documenter : mettre à jour le registre RGPD de l’école, signaler le projet au DPO.
- Donner une alternative : proposer une option sans photo pour les familles qui refusent.
Exemple concret : se projeter à 25 ans
Dans mon projet où les élèves créent une image d’eux-mêmes à 25 ans dans leur métier rêvé :
- Pour les familles qui donnent leur accord : l’élève part d’une photo et la transforme via Gemini Éducation (ou une IA locale si l’on veut plus de sécurité).
- Pour les familles qui refusent : l’élève utilise un avatar ou un dessin de lui-même, ce qui garde la richesse pédagogique sans exposer ses données personnelles.
Ainsi, tout le monde participe, sans discrimination, et l’école reste conforme au RGPD.
Conclusion
Le RGPD n’est pas un frein à l’innovation pédagogique : c’est un cadre de confiance. Il nous oblige à être plus clairs, plus transparents et à développer une vraie culture numérique avec nos élèves. En choisissant les bons outils, en expliquant nos démarches et en respectant le droit à l’image, nous montrons que l’IA peut être un allié responsable de l’école.
Personnellement, je retiens trois principes simples : ne jamais forcer, toujours informer, et choisir la solution la plus protectrice par défaut. C’est dans cet équilibre que le numérique devient une vraie plus-value au service de l’éducation.
Pour aller plus loin
- Fédération Wallonie-Bruxelles : Guide « Comprendre et appliquer le RGPD en classe ».
- Autorité de Protection des Données : brochure « Systèmes d’IA et RGPD » (2024).
- APD : recommandations droit à l’image des mineurs.
- Tutoriel : installer LM Studio ou Ollama pour tester une IA locale en 10 minutes.